L’optimisme tragique a été théorisé par Victor Frankl, survivant de l’holocauste. L’optimisme tragique c’est notre capacité à créer du sens et de construire sur des expériences négatives.
Il invite à admettre et écouter. Ne pas nier ses sentiments de détresse, de tristesse et de désespoir et aussi d’impuissance. Dans le bouleversement total que nous vivons, être capable de dire : “je suis perdu(e)” peut être salvateur. C’est la seule attitude qui nous permet de se poser, de décrire la situation et chercher une direction. Car oui, la crise actuelle peut être “too big to deal with” et oui c’est une catastrophe générationnelle dont on n’a pas encore évalué l’ampleur.
Une direction et une ouverture
L’optimisme tragique intervient quand l’homme est confronté aux triptyque des tragédies : la souffrance, la culpabilité et la mort souligne Norbert Goutmann qui rappelle que 30% des demandes en psychothérapie sont de près ou de loin des demandes de sens. L’optimisme tragique est donc l’un des ressorts qui aide l’homme à fabriquer du sens et marque la différence profonde entre l’injonction américaine d’ “être heureux” à tout prix et le besoin européen de “ faire sens”.
Le sens est une direction, il pousse à “aller vers”. Dans ce cadre “l’optimisme tragique” est un ressort qui ouvre le champ des possibles.
Heureux versus Digne
Parallèlement, l’irruption de la tragédie et la proximité de la mort et de la souffrance peuvent ressusciter chez l’homme l’urgence d’agir convenablement. D’où les manifestations spontanées de solidarité que nous avons pu observer pendant la crise du Covid. Cette quête de dignité marque une distinction fondamentale entre les personnes seulement “heureuses” et les personnes “dignes et utiles”
Emily Esfahani Smith auteure d’un article sur l’optimisme tragique dans le New York Times relève que les personnes les plus résilientes sont les personnes capables de ressentir intensément des émotions négatives lors des catastrophes et souligne que 50% voire les deux tiers expérimentent une résilience ou un sentiment de croissance personnelle post traumatique.
Le “Sens rédemptif”
In fine, les conseils kleenex des ravis de la crèche du développement personnel sur le temps de sommeil, le sport et le divertissement ne sont pas aussi utiles que la capacité à donner un sens aux tragédies. Car Il y a une dose d’efforts bénéfiques et de “sens rédemptif” dans l’optimisme tragique. C’est cet optimisme tragique que l’on ressent intensément dans l’exhortation puissante du collectif catastrophe “Le réel n’est pas un musée”
“Le réel n’est pas un musée, et nous ne voulons pas nous satisfaire de toucher le monde avec les yeux. Nous voulons le prendre à bras-le-corps et nous salir les mains. Nous voulons nous ruer tout entiers, sans condition, sur ce terrain de jeu tragique qu’est l’existence. Tenter nos propres combinaisons, rater et recommencer rater encore et mieux, nous tromper vingt fois peut-être, mais toujours nous sentir vivants. Nous voulons, fragilement, faire et prendre part.”
La Nuit est encore Jeune, Collectif Catastrophe
“Vivre c’est être marqué… C’est acquérir les mots d’une histoire” nous rappelle Barbara Kingsolver. L’optimisme tragique c’est cette capacité inédite de donner un ordre et une structure à nos vies. Autant d’étapes préalables au vrai dépassement des crises. C’est le message ultime de Victor Frankl pour qui le sens est le véritable catalyseur ultime de toute vie humaine.
« Aimerais-tu les fleurs, les prés et la verdure,
Les sonnets de Pétrarque et le chant des oiseaux,
Michel-Ange et les arts, Shakespeare et la nature,
Si tu n’y retrouvais quelques anciens sanglots ? »Alfred de Musset