Michaël Boumendil (Sixième son) : “Derrière la décence émotionnelle se cache la  légitimité, donc le sens” - Umanz

Michaël Boumendil (Sixième son) : “Derrière la décence émotionnelle se cache la  légitimité, donc le sens”

 

Michaël Boumendil est le créateur et le fondateur de Sixième Son, spécialiste de l’identité sonore des marques. 

Au début du confinement il a alerté les marques sur l’impératif de décence émotionnelle / (emotional decency) dans un article de Mediapost.

Umanz a souhaité approfondir cette notion de “Décence émotionnelle” avec lui :

Umanz – D’où vient votre réflexion sur la décence émotionnelle ?

Michaël Boumendil : Je suis avant tout un enfant de la musique qui est pour moi comme un nouvel espéranto et toujours un révélateur avancé de l’évolution du monde. Quand on y réfléchit la première globalisation a été celle des flux musicaux. Depuis quelques années déjà je constatais, chez les marques, l’émergence d’une indécence émotionnelle dans l’appropriation de musiques connues comme Imagine de John Lennon par une grande banque. Une captation, un vernis, un masque artificiel qui sonnait faux. Quand on calque une image qui signifie la paix ou l’amour sur telle ou telle marque on frôle souvent la récupération, l’inadéquation et on bascule dans l’illégitimité. Une sorte d’appropriation par le vide. 

Une identité sonore qui n’a pas de légitimité n’a pas de sens. Une musique doit s’incarner de manière identitaire.

Possédez vous le bonheur ? Possédez vous l’amour ? Très peu de marques ont réfléchi aux émotions qu’elles peuvent légitimement mettre en avant sans foutage de gueule.

Cette réflexion sur l’indécence et la captation d’émotion a nourri ma réflexion sur la décence émotionnelle.  

Umanz- comment l’appliquer aux marques ?

Michaël Boumendil : La marque doit savoir pourquoi elle existe. Le sens, c’est ce qui est demandé aujourd’hui aux marques. Elles doivent savoir et comprendre pourquoi elles existent. Pourquoi elles représentent un intérêt pour la société.

Il faut ensuite développer une approche non intrusive de la marque comme le tente Mastercard, qui souhaite faire disparaître son nom. Se poser la question essentielle : où est-ce que je peux en faire moins pour en faire mieux ?

Je suis très sensible aux réflexions d’Alain Péron et Bernard Emsellem. Cela fait 30 ans que les marques poussent…alors au bout d’un moment les gens repoussent. Et tout le monde a tellement menti qu’on a créé les conditions d’une société paranoïaque.  Dans ce nouveau présent, même les mots justes se sont épuisés. Nous sommes donc arrivés à une époque où même les paroles adéquates et les images génèrent plus de “pushbacks” que d’adhésions.  

Dans ce monde compliqué et cacophonique, il va aussi falloir reparler d’humilité. L’humité c’est aussi de savoir admettre qu’on s’est trompé. Un grand publicitaire New Yorkais me faisait remarquer il y a peu de temps : “on a besoin d’une leçon d’humilité pour redémarrer”.

Umanz- Quelle est l’implication de la décence émotionnelle en matière d’identité sonore ?

Michaël Boumendil: La première consiste à comprendre que l’enjeu n’est pas de plaire ni séduire mais d’être juste. Combien de musiques sont faites pour séduire au lieu de marquer une différence, sa différence ?

En matière de son, la musique relève de l’évidence, elle ne ment pas. Une suite de notes ne ment pas. La question qui est donc posée aux marques, c’est le ton juste et l’adéquation avec l’expérience des gens. J’invite ainsi les marques à creuser leur sillon, l’approfondir plutôt que l’élargir.

Un des impacts de la décence émotionnelle sera donc de ne plus surstimuler pour le plaisir de surstimuler. Penser avant tout au réceptacle d’un message de marque. 

C’est pour cela qu’on teste aujourd’hui, dans certains contenus, du silence et c’est assez productif d’ailleurs.

Umanz- Comment analysez vous le grand retour du sens dans la société ?

Michaël Boumendil : Gorbatchev qui a un certain recul sur les choses du monde, nous avait fait remarquer qu’on s’était tous lancés à cœur perdu sur la fin de l’histoire mais que le vide idéologique n’est acceptable pour personne.

Je note que la fin des grands combats- particulièrement aujourd’hui que je vis aux US- ont cédé la place à une fragmentation délétère et menaçante et à des tensions politiques artificielles qui sont tout sauf naturelles.

Ces nouvelles tensions exacerbent le besoin de sens. Et la brusque irruption de la mort dans le champ social dans nos vies à la faveur du Covid a accentué cette évidence du retour du sens. 

Les gens ont donc terriblement besoin d’une histoire à laquelle ils sont capables de croire et cela explique en partie la passion triste du complotisme.

Ce que je constate c’est que nous avons besoin de chercher des combats. Une vie sans sens n’est pas acceptable. Or la société de consommation qui était un combat avant, a cessé d’être un combat maintenant. Les gens veulent autre chose. Un autre récit.

L’ultime combat du sens aujourd’hui est dans le partage et le compromis. C’est le fameux “Cohere” dont parle Obama dans son second livre The Audacity of Hope. Un “Cohere” qui va au-delà de la cohérence car il nous parle de décence et de compromis. Rapprocher le sens d’une société c’est partager et faire du compromis. C’est à cette condition que nous ferons société.

Cela prends du temps, cela prend de l’énergie. Mais il faut accepter ce temps et cette énergie.

C’était le message d’ Hegel : “Le but est dans le chemin”