“Une licorne dans l’impact economy c’est possible !”
Nous avons rencontré Jean Moreau, 35 ans, CEO et co-fondateur avec Baptiste Corval de Phenix (9 millions d’Euros et 125 Salariés) pionnier du recyclage positif des invendus alimentaires et qui a levé 15 millions d’Euros en novembre auprès d’ ETF partners Bpifrance “Ville de Demain”, Sofiouest et Arkéa Capital (We Positive Invest).
Il a accepté de répondre aux questions de la Umanz Interview :
Umanz- Présentez vous sans utiliser de titre ?
Jean Moreau : Je suis l’une des deux personnes à l’origine de PHENIX, un social business visant à accélérer la transition vers un modèle d’économie circulaire, et instaurant progressivement un nouveau standard dans la gestion de invendus et des déchets.
Sur le plan perso j’ai (déjà !…) 35 ans, deux jeunes enfants, sportif et musicien à mes heures perdues, qui se font rares compte tenu de ce qui précède.
Mon parcours pourrait être qualifié d’atypique, dans le mesure où il a commencé dans les clous : la trajectoire classique du bon élève du système scolaire français, Bac S, puis 2 ans de prépa, ESSEC, puis un détour de 2 ans à Sciences Po, en Affaires Publiques. Tout ça pour démarrer ma carrière dans une banque d’affaires américaine, en fusions-acquisitions, au coeur du réacteur capitaliste. Mais je ne me sentais pas l’âme d’un business man pur et dur. Je n’étais pas fondamentalement malheureux mais mon métier manquait de sens et d’impact à mes yeux. Et j’avais été témoin en live de la détresse de centaines de salariés souvent brillants mais prisonniers dans des tours à La Défense à pointer des bilans financiers ou à calculer des primes d’assurance. Je me suis dit que quitte à bosser 100h, autant bosser au service d’une cause. De quelque chose de noble. Et qu’au lieu de me plaindre auprès de mes potes et de ma famille, il était temps de franchir le pas et de passer à l’action, “to try to make the world a better place”.
Umanz- Que vouliez vous faire quand vous étiez petit ?
Jean Moreau : Je voulais être ambassadeur. Puis overdose de Ferrero Rocher, et me voilà entrepreneur, métier où un peu de diplomatie ne fait pas de mal…
Umanz- Qu’est-ce que vos parents vous ont appris ?
Jean Moreau : La valeur du travail et de la méritocratie, certainement héritée de la lignée protestante de ma famille (branche paternelle), et les valeurs propres à une famille nombreuse, étant l’aîné d’une fratrie de 4 garçons. Il manquait certainement une petite dose de féminité dans le foyer mais on a bien rigolé (quand on ne se tapait pas dessus).
Umanz- Quel est votre meilleur moment professionnel ?
Jean Moreau : Probablement la signature avec notre premier “gros” client, un contrat cadre avec le groupe Carrefour, au bout de quelques mois seulement, à une époque où nous étions à peu près nulle part. Ce n’est pas tant le contrat en tant que tel que la première brique du cercle vertueux qu’il a entraîné.
Umanz- A quoi avez vous renoncé ?
Jean Moreau : L’entrepreneuriat implique beaucoup de renoncements, on voit nécessairement moins sa famille, moins ses amis, on n’est jamais complètement libéré de la charge mentale liée à son projet. Mais en l’occurrence au vu du début de mon parcours professionnel, je dirais que mon principal renoncement aura concerné des conditions matérielles, de l’argent pour être clair. J’aurais pu continuer dans la voie royale de la finance, mais ce n’a pas été le cas. Un renoncement assumé. Mes journées sont tout aussi denses mais beaucoup plus variées. Ma trajectoire est moins linéaire et plus originale que celle de la majorité de mes copains de promo. L’entrepreneuriat c’est quand même de sacrées tranches de vie, avec de belles émotions. Cela vous donne une nouvelle dimension. Et la magie de l’entrepreneuriat social en particulier c’est ce petit supplément d’âme que procure la fierté d’avoir un réel impact sociétal et/ou environnemental.
Umanz- Que feriez vous si vous deviez changer de métier ?
Jean Moreau : Je ferai peut être du capital amorçage (en particulier de l’impact investing) pour aider les entrepreneurs sociaux, avec une double légitimité d’ex-financier et d’entrepreneur.
Umanz- Quelle leçon de vie aimeriez vous transmettre à vos enfants ?
Jean Moreau : Trois choses:
Que le travail paye toujours, et qu’il faut donc s’accrocher tout en restant vigilant sur la délicate frontière entre persévérance et entêtement,
Qu’il faut suivre ses intuitions et prendre des risques, et qu’on n’est jamais aussi bon que dans un secteur ou sur un projet pour lequel on a “le feu sacré”,
Ne pas oublier de profiter et de prendre du recul. Et de se marrer aussi : je ne compte pas le nombre de fois où mon sens de l’humour m’a permis d’avancer ou de débloquer une situation.
Umanz- Une lecture qui vous a bouleversé ?
Jean Moreau : “La Perle”, de John Steinbeck
Umanz- Qu’est ce que vous ne savez pas ?
Jean Moreau : Je ne sais de quoi ma vie sera faite dans 5 ans, c’est le principe dans l’entrepreneuriat et les cycles qui vont avec. A fortiori lorsque l’on a embarqué des investisseurs et que l’on est plus seul maître à bord.
Umanz- Qu’avez vous appris cette année ?
Jean Moreau : La difficulté de tisser des partenariats stratégiques solides et pérennes, sans lien capitalistique. Les intérêts et les cultures des structures ont rapidement tendance à diverger.
Umanz- Qu’est-ce qui vous inquiète ?
Jean Moreau : Je me réjouis de l’essoufflement du système linéaire de consommation (on extrait des matières premières – on produit – on consomme – on jette), mais en parallèle je m’inquiète de la lenteur de la transition vers un modèle circulaire, durable et solidaire. Je m’inquiète que ces sujets Développement Durable et RSE restent du “Nice to have” dans les grands groupes, et ne se rappatrient pas plus rapidement vers le coeur de métier.
Je m’inquiète également comme beaucoup du mécontentement et du mal être généralisé de la société française, ainsi que de son manque de légèreté. La pesanteur ambiante me fatigue.
Umanz- Qu’est-ce qui vous rend optimiste ?
Jean Moreau : La nouvelle génération des changemakers de la Tech for Good. Toute cette cohorte de nouveaux acteurs innovants engagés au service du bien commun et porteurs de solutions vertueuses, comme les copains de Microdon, RecycLivre, Simplon, Moulinot, LemonTri, …
Umanz- Quelle est votre phrase préférée ?
J’ai eu la chance de lire et relire plusieurs fois les moralistes du XVIIè, et il y a chez La Rochefoucauld comme chez La Bruyère des maximes d’anthologie, mais s’il fallait en retenir une pour cette interview, ce serait peut-être celle-ci, issue des Caractères :
“Le regret qu’ont les hommes du mauvais emploi du temps qu’ils ont déjà vécu, ne les conduit pas toujours à faire de celui qui leur reste à vivre un meilleur usage.”
Umanz- Comment voyez vous le futur de l’économie positive ?
Je n’attends qu’une chose c’est qu’elle devienne mainstream et que ce ne soit plus une économie parallèle et minoritaire. Que je ne sois plus obligé de préciser en intervention ou en interview que PHENIX est une “entreprise sociale”, que cette appellation se transforme en tautologie et que tout le monde pousse dans ce sens, qui est à la fois du bon sens et le sens de l’Histoire.