Comment penser par soi-même - Umanz

Comment penser par soi-même

Comment penser par soi-même

Cet article est une traduction de l’essai de Paul Graham (Co-fondateur de YCombinator) : How to think for yourself publié en novembre.

Il y a certains types de tâches que vous ne pouvez pas mener à bien sans penser différemment de vos pairs. Pour réussir en tant que scientifique, par exemple, il ne suffit pas d’être correct. Vos idées doivent être à la fois correctes et nouvelles. Vous ne pouvez pas publier des articles qui disent des choses que d’autres personnes savent déjà. Vous devez dire des choses que personne d’autre n’a compris.

Il en va de même pour les investisseurs. Il ne suffit pas qu’un investisseur d’une société cotée prévoie correctement les résultats d’une entreprise. Si beaucoup d’autres font la même prédiction, le cours de l’action reflétera déjà ces anticipations et il n’y aura pas de marge de manœuvre pour gagner de l’argent. Les seules informations utiles sont celles que la plupart des autres investisseurs ne partagent pas.

C’est également le cas des fondateurs de startups. Vous ne voulez pas créer une startup pour faire quelque chose que tout le monde considère comme une bonne idée, sinon d’autres entreprises s’y seront déjà mises. Vous devez faire quelque chose qui semble être une mauvaise idée pour la plupart des gens, mais qui, selon ce que vous savez, ne l’est pas – comme écrire un logiciel pour un petit ordinateur utilisé par quelques milliers d’amateurs, ou lancer un site permettant aux gens de louer des matelas gonflables sur dans des appartements d’autres personnes.

Idem pour les écrivains. Un essai qui dit aux gens des choses qu’ils savent déjà serait ennuyeux. Vous devez leur dire quelque chose de nouveau.

Mais ce modèle n’est pas universel. En fait, il n’est pas valable pour la plupart des types de travaux. Dans la plupart des métiers – les métiers administratifs, par exemple – il suffit juste de s’assurer de la première moitié. Il suffit d’avoir raison. Il n’est pas essentiel que les autres aient tort.

Il y a de la place pour un peu de nouveauté dans la plupart des types de métiers, mais en pratique, il y a une distinction assez nette entre les types de métiers où il est essentiel d’avoir l’esprit indépendant et ceux où ce n’est pas requis.

J’aurais aimé que quelqu’un me parle de cette distinction quand j’étais enfant, parce que c’est l’une des choses les plus importantes auxquelles il faut penser quand on décide du type de métier que l’on veut faire. Voulez-vous faire le genre de métier où vous ne pouvez gagner qu’en pensant différemment des autres ? Je pense que l’esprit inconscient de la plupart des gens répondra à cette question avant même que leur esprit conscient ne s’exprime. Ça a été comme ça chez moi.

L’indépendance d’esprit semble être plus une question de nature que d’éducation. Ce qui signifie que si vous choisissez le mauvais type de travail, vous serez malheureux. Si vous êtes naturellement indépendant, vous allez trouver frustrant d’être un cadre moyen. Et si vous avez un esprit conventionnel, vous allez au devant d’obstacles si vous essayez de faire des recherches originales.

  • Une difficulté ici, cependant, est que les gens se trompent souvent sur la place qu’ils occupent sur le spectre esprit conventionnel / l’esprit indépendant. Les personnes d’esprit conventionnel n’aiment pas se considérer comme telles. En tout cas, ils ont vraiment l’impression de se faire leur propre opinion sur tout. Ce n’est qu’une coïncidence si leurs croyances sont identiques à celles de leurs pairs. Et les indépendants, quant à eux, ne savent souvent pas à quel point leurs idées sont différentes des idées conventionnelles, du moins jusqu’à ce qu’ils les expriment publiquement. [1]

Lorsqu’ils atteignent l’âge adulte, la plupart des gens savent à peu près à quel point ils sont intelligents (au sens le plus étroit étroit, celui de la capacité à résoudre des problèmes préétablis), car ils sont constamment testés et classés en fonction de cela. Mais les écoles ignorent généralement l’indépendance d’esprit, sauf dans la mesure où elles tentent de la supprimer. Nous ne recevons donc pas le même genre de remarques sur notre indépendance d’esprit.

Il peut même y avoir un phénomène de type Dunning-Kruger au travail, où les personnes les plus conventionnelles sont sûres de leur indépendance d’esprit, alors que les personnes réellement indépendantes craignent de ne pas l’être suffisamment.

Pouvez-vous vous rendre plus indépendant ? Je pense que oui. Cette qualité est peut-être largement innée, mais il semble qu’il y ait des moyens de l’amplifier, ou du moins de ne pas la supprimer.

L’une des techniques les plus efficaces est celle qui est pratiquée involontairement par la plupart des nerds : simplement être moins au courant de ce que sont les croyances conventionnelles. Il est difficile d’être conformiste si vous ne savez pas à quoi vous êtes censé vous conformer. Mais, là encore, il se peut que ces personnes soient déjà indépendantes d’esprit. Une personne à l’esprit conventionnel se sentirait probablement anxieuse de ne pas savoir ce que les autres pensent et ferait plus d’efforts pour le découvrir.

Il est très important de savoir avec qui vous vous entourez. Si vous êtes entouré de personnes à l’esprit conventionnel, cela limitera les idées que vous pouvez exprimer, et cela limitera à son tour les idées que vous avez. Mais si vous vous entourez de personnes à l’esprit indépendant, vous aurez l’expérience inverse : entendre d’autres personnes dire des choses surprenantes vous encouragera à penser plus et à aller plus loin.

Parce que les personnes indépendantes trouvent inconfortable d’être entourées de personnes aux idées conventionnelles, elles ont tendance à s’isoler dès qu’elles en ont l’occasion. Le problème du lycée, c’est qu’elles n’ont pas encore l’occasion de le faire. De plus, le lycée a tendance à être un petit monde replié sur lui-même dont les habitants manquent de confiance en eux, ce qui amplifie les forces du conformisme. Le lycée est donc souvent une mauvaise période pour les personnes à l’esprit indépendant. Mais même ici, ça a un avantage : ça vous apprend ce qu’il faut éviter. Si, plus tard, vous vous retrouvez dans une situation qui vous fait penser « c’est comme au lycée », vous savez que vous devrez vous échapper. [2]

Les startups à succès sont un autre lieu où les indépendants et les conventionnels se rencontrent. Les fondateurs et les premiers employés sont presque toujours indépendants, sinon la startup ne serait pas une réussite. Mais les personnes d’esprit conventionnel sont beaucoup plus nombreuses que celles d’esprit indépendant, de sorte qu’à mesure que l’entreprise se développe, l’esprit d’indépendance d’origine se dilue inévitablement. Cela entraîne toutes sortes de problèmes, outre celui, évident, que l’entreprise commence à devenir nulle. L’un des problèmes les plus étranges est que les fondateurs se trouvent à échanger plus librement avec les fondateurs d’autres entreprises qu’avec leurs propres employés. [3]

Heureusement, vous n’avez pas à passer tout votre temps avec des personnes à l’esprit indépendant. Il suffit d’en avoir un ou deux avec qui vous pouvez parler régulièrement. Et une fois que vous les avez trouvés, ils sont généralement aussi désireux de parler que vous ; ils ont besoin de vous aussi. Bien que les universités n’aient plus le monopole qu’elles avaient sur l’éducation, les bonnes universités restent un excellent moyen de rencontrer des personnes indépendantes. La plupart des étudiants sont encore des gens normaux, mais vous trouverez au moins des groupes de personnes indépendantes, loin du nombre proche de zéro d’indépendants au lycée.

Et cela marche aussi dans l’autre sens : tout en cultivant une petite collection d’amis à l’esprit indépendant, essayez de rencontrer autant de types de personnes différentes que possible. Si vous avez plusieurs autres groupes d’affinités, l’influence de vos relations immédiates s’en trouvera réduite. De plus, si vous faites partie de plusieurs mondes différents, vous pourrez souvent importer des idées de l’un à l’autre.

Mais par différents types de personnes, je ne veux pas dire démographiquement différentes. Pour que cette technique fonctionne, il faut qu’ils pensent différemment. Donc, même si c’est une excellente idée d’aller visiter d’autres pays, vous pouvez probablement trouver des gens qui pensent différemment juste au coin de la rue. Quand je rencontre quelqu’un qui en sait beaucoup sur quelque chose d’inhabituel (ce qui inclut pratiquement tout le monde, si vous creusez assez profondément), j’essaie d’apprendre ce qu’il sait que les autres ne savent pas. Il y a presque toujours des surprises en la matière. C’est une bonne façon d’initier une conversation quand vous rencontrez des étrangers, mais je ne le fais pas simplement pour faire la conversation. Je veux vraiment savoir.

Vous pouvez élargir la source des influences dans le temps comme dans l’espace, en lisant l’Histoire. Quand je lis des textes historiques, je ne le fais pas seulement pour apprendre ce qui s’est passé, mais pour essayer de rentrer dans la tête des gens qui ont vécu dans le passé. Comment les choses leur sont-elles apparues ? C’est difficile à faire, mais cela en vaut la peine pour la même raison qu’il vaut la peine de voyager loin pour trianguler un point.

Vous pouvez également prendre des mesures plus explicites pour vous empêcher d’adopter automatiquement des opinions conventionnelles. La plus générale consiste à cultiver une attitude de scepticisme. Lorsque vous entendez quelqu’un dire quelque chose, arrêtez-vous et demandez-vous « Est-ce vrai ? Ne le dites pas à voix haute. Je ne vous suggère pas d’imposer à tous ceux qui vous parlent la charge de prouver ce qu’ils disent, mais plutôt de prendre sur vous la charge d’évaluer ce qu’ils disent.

Traitez-le comme un puzzle. Vous savez que certaines idées reçues se révéleront plus tard fausses. Voyez si vous pouvez deviner lesquelles. L’objectif final n’est pas de trouver des défauts dans les choses qu’on vous dit, mais de trouver les nouvelles idées qui avaient été dissimulées par les idées fausses. Ce jeu doit donc être une quête passionnante de nouveauté, et non un protocole ennuyeux d’hygiène intellectuelle. Et vous serez surpris, lorsque vous commencerez à vous demander « Est-ce vrai ? », combien de fois la réponse n’est pas un oui immédiat. Si vous avez un peu d’imagination, il est plus probable que vous ayez trop de pistes à suivre que trop peu.

Plus généralement, votre objectif doit être de ne rien laisser entrer dans votre tête sans examen, et les choses ne vous entrent pas toujours dans la tête sous forme de déclarations. Certaines des influences les plus puissantes sont implicites. Comment les remarquez-vous ? En prenant du recul et en observant comment les autres personnes se font leurs idées.

Lorsque vous prenez du recul à une distance suffisante, vous pouvez voir les idées se répandre à travers des groupes de personnes comme des vagues. Les plus évidentes sont dans le domaine de la mode : vous remarquez que quelques personnes portent un certain type de chemise, puis de plus en plus, jusqu’à ce que la moitié des personnes autour de vous portent la même chemise. Vous ne vous souciez peut-être pas beaucoup de ce que vous portez, mais il y a aussi des modes intellectuelles, et vous ne voudrez certainement pas y participer. Non seulement parce que vous voulez garder la souveraineté sur vos propres pensées, mais aussi parce que les idées qui ne sont pas à la mode ont une probabilité disproportionnée de vous mener à un endroit intéressant. Le meilleur endroit pour trouver des idées non découvertes est là où personne d’autre ne regarde. [4]

Pour aller au-delà de ces conseils généraux, nous devons examiner la structure interne de l’indépendance d’esprit – les muscles individuels que nous devons exercer, en quelque sorte. Il me semble qu’elle comporte trois composantes : la rigueur à l’égard de la vérité, la résistance à ce qu’on nous dise quoi penser et la curiosité.

La rigueur de la vérité ne se limite pas à ne pas croire aux choses qui sont fausses. Cela signifie qu’il faut faire attention au niveau de croyance. Pour la plupart des gens, le niveau de croyance précipite vers les extrêmes : l’improbable devient impossible, et le probable devient certain [5]. Pour les esprits indépendants, cela apparaît comme une négligence impardonnable. Ils sont prêts à tout accueillir, des hypothèses hautement spéculatives aux tautologies (apparentes), mais sur les sujets qui les intéressent, tout doit être alors étiqueté avec un niveau de croyance soigneusement examiné. [6]

Les esprits indépendants ont donc une horreur des idéologies, qui exigent d’accepter tout un ensemble de croyances à la fois, et de les traiter comme des articles de foi. Pour un esprit indépendant, cela peut sembler révoltant, tout comme il semblerait à quelqu’un suspect, en matière de nourriture, de prendre une bouchée d’un sandwich de crustacés rempli d’une grande variété d’ingrédients d’âges et de provenance indéterminés.

Sans ce souci de la vérité, vous ne pouvez pas être vraiment indépendant d’esprit. Car il ne suffit pas d’être résistant à la pensée toute faite. Ce type de personnes rejette souvent les idées conventionnelles pour les remplacer par les théories de conspirationnistes les plus farfelues. Et comme ces théories du complot ont souvent été fabriquées pour les embrigader, elles finissent par être moins indépendantes d’esprit que les gens ordinaires, parce qu’elles sont soumises à un maître beaucoup plus exigeant que la simple convention. [7]

Pouvez-vous augmenter votre rigueur à l’égard de la vérité ? Je pense que oui. D’après mon expérience, le simple fait de penser à une chose sur laquelle vous êtes rigoureux augmenter cette rigueur. C’est, dans le cas d’espèce, l’une des rares vertus que nous pouvons accroître simplement en le voulant. Et, comme d’autres formes de rigueur, il devrait également être possible de l’encourager chez les enfants. J’en ai certainement reçu une forte dose de mon père. [8]

La deuxième composante de l’indépendance d’esprit, la résistance à se laisser imposer ce qu’il faut penser, est la plus évidente. Mais même cette composante est souvent mal comprise. La grande erreur que les gens font à ce sujet est de penser qu’il s’agit d’une qualité simplement négative. Le langage que nous utilisons renforce cette idée. Vous n’êtes pas conventionnel. Vous ne vous souciez pas de ce que les autres pensent. Mais ce n’est pas seulement une sorte d’immunité. Chez les personnes les plus indépendantes d’esprit, le désir de ne pas se laisser imposer ce qu’il faut penser est une force positive. Il ne s’agit pas d’un simple scepticisme, mais d’un délice à l’égard d’idées qui contredisent les idées reçues, plus elles sont contre-intuitives, mieux c’est.

Certaines des idées les plus innovantes ressemblaient presque à l’époque à des blagues. Pensez à la fréquence à laquelle votre réaction à toute idée nouvelle consiste à rire. Je ne pense pas que ce soit parce que les idées nouvelles sont drôles en soi, mais parce que la nouveauté et l’humour partagent un certaine élément de surprise. Bien qu’ils ne soient pas identiques, les deux sont suffisamment proches pour qu’il y ait une corrélation certaine entre le sens de l’humour et l’indépendance d’esprit, tout comme il y a une corrélation entre le manque d’humour et l’esprit conventionnel. [9]

Je ne pense pas que nous puissions augmenter de manière significative notre résistance à ce qu’on nous impose de penser. Elle semble être la plus innée des trois composantes de l’indépendance d’esprit ; les personnes qui ont cette qualité à l’âge adulte n’en ont généralement montré que des signes trop visibles dans leur enfance. Mais si nous ne pouvons pas augmenter notre résistance à la pensée toute faite, nous pouvons au moins la renforcer en nous entourant d’autres personnes à l’esprit indépendant.

La troisième composante de l’indépendance d’esprit, la curiosité, est peut-être la plus intéressante. Si jamais il existe une réponse courte à la question de savoir d’où viennent les idées nouvelles, c’est la curiosité. C’est ce que les gens ressentent généralement avant de les avoir.

D’après mon expérience, l’indépendance d’esprit et la curiosité se prédisent parfaitement l’une et l’autre. Tous ceux que je connais qui ont l’esprit indépendant sont profondément curieux, et tous ceux que je connais qui ont l’esprit conventionnel ne le sont pas. Sauf, curieusement, les enfants. Tous les petits enfants sont curieux. Peut-être est-ce dû au fait que même les personnes à l’esprit conventionnel doivent être curieuses au début, afin d’apprendre ce que sont les conventions. Alors que les enfants indépendants sont les plus curieux, ils continuent à manger même après avoir été rassasiés. [10]

Les trois composantes de l’indépendance d’esprit fonctionnent de concert : la rigueur à l’égard de la vérité et la résistance à la pensée toute faite ouvrent de l’espace dans votre cerveau, et la curiosité trouve de nouvelles idées pour le remplir.

Il est intéressant de noter que ces trois composantes peuvent se substituer l’une à l’autre de la même manière que les muscles. Si vous êtes suffisamment rigoureux sur la vérité, vous n’avez pas besoin d’être aussi réfractaire aux pensées que l’on vous impose, car la rigueur seule créera suffisamment de trous à combler dans vos connaissances. Et l’une ou l’autre approche peut compenser la curiosité, car si vous créez suffisamment d’espace dans votre cerveau, votre inconfort face au vide qui en résulte renforcera votre curiosité. Ou bien la curiosité peut les compenser : si vous êtes suffisamment curieux, vous n’avez pas besoin de libérer de l’espace dans votre cerveau, car les nouvelles idées que vous découvrez repousseront les idées conventionnelles que vous avez acquises par défaut.

Les composantes de l’indépendance d’esprit étant interchangeables, vous pouvez les posséder à des degrés divers et toujours obtenir le même résultat. Il n’y a donc pas un seul modèle d’indépendance d’esprit. Certains sont ouvertement subversifs, d’autres sont curieux. Mais ils connaissent tous la technique secrète.

Y a-t-il un moyen de cultiver la curiosité ? Pour commencer, il faut éviter les situations qui la répriment. Dans quelle mesure le travail que vous effectuez actuellement suscite-t-il votre curiosité ? Si la réponse est « pas beaucoup », c’est peut-être le signe que vous devriez changer quelque chose.

La mesure active la plus importante que vous pouvez prendre pour cultiver votre curiosité est probablement de rechercher les sujets qui l’éveillent. A l’âge adulte on n’est plus curieux de tout et l’intérêt ne se décrète pas. C’est donc à vous de trouver vos objets de curiosité. Ou de les inventer, si nécessaire.

Une autre façon d’accroître votre curiosité est de la satisfaire, en enquêtant sur les choses qui vous intéressent. À cet égard, la curiosité n’a rien à voir avec la plupart des autres appétits : le fait de la satisfaire tend à l’augmenter plutôt qu’à l’assouvir. Les questions suscitent d’autres questions.

La curiosité semble être plus individuelle que la rigueur de la vérité ou la résistance à la pensée conventionnelle. Dans la mesure où les gens ont ces deux dernières caractéristiques, elles sont généralement assez générales, alors que différentes personnes peuvent être curieuses de choses très différentes. La curiosité est donc peut-être la boussole ici. Peut-être que si votre objectif est de découvrir de nouvelles idées, votre devise ne devrait pas être « faites ce que vous aimez » mais plutôt « faites ce qui vous rend curieux ».


Notes

[1]Une conséquence pratique du fait que personne ne s’identifie à un esprit conventionnel est que vous pouvez dire ce que vous voulez sur les gens à l’esprit conventionnel sans vous attirer trop d’ennuis. Lorsque j’ai écrit « Les quatre quadrants du conformisme », je m’attendais à une tempête de rage de la part des personnes agressives et conventionnelles, mais en fait, elle a été très modérée. Ils ont senti qu’il y avait quelque chose dans l’essai qui leur déplaisait beaucoup, mais ils ont eu du mal à trouver un passage précis pour l’épingler.

[2] Quand je me demande ce que c’est que le lycée dans ma vie, la réponse est Twitter. Il n’est pas seulement rempli de gens à l’esprit conventionnel, comme le sera inévitablement toute chose de cette taille, mais il est aussi soumis à de violentes tempêtes d’esprit conventionnel qui me rappellent l’atmosphère de Jupiter. Mais si c’est probablement une perte nette que d’y passer du temps, cela m’a au moins fait réfléchir à la distinction entre l’esprit indépendant et l’esprit conventionnel, ce que je n’aurais probablement pas fait autrement.

[3] La diminution de l’indépendance d’esprit dans les startups émergentes est un problème qui reste ouvert, mais il y a peut-être des solutions.

Les fondateurs peuvent retarder le problème en faisant un effort conscient pour n’engager que des personnes à l’esprit indépendant. Ce qui, bien sûr, a aussi l’avantage accessoire de produire de meilleures idées.

Une autre solution possible consiste à créer des politiques qui, d’une manière ou d’une autre, perturbent l’inertie du conformisme, tout comme les barres de contrôle ralentissent les réactions en chaîne, de sorte que les personnes d’esprit conventionnel ne deviennent pas suffisamment dangereuses. Les séparations physiques de l’usine de type Skunk Works ont peut-être eu cet avantage secondaire. Des exemples récents suggèrent que les messageries d’employés comme celui de Slack ne sont peut-être pas un bien universel.

La solution la plus radicale serait d’augmenter les revenus sans faire croître l’entreprise. Vous pensez que l’embauche d’un jeune responsable des RP sera bon marché, par rapport à un programmeur, mais quel sera l’effet sur le niveau moyen d’indépendance d’esprit dans votre entreprise ? (L’augmentation du personnel administratif par rapport au corps professoral semble avoir eu un effet similaire sur les universités). Peut-être la règle concernant l’externalisation des travaux qui ne font pas partie de vos « compétences de base » devrait-elle être complétée par une règle concernant l’externalisation des travaux effectués par des personnes qui ruineraient votre culture d’entreprise.

Certaines sociétés d’investissement semblent déjà pouvoir augmenter leurs revenus sans augmenter le nombre de leurs employés. L’automatisation et l’articulation toujours plus poussée des « tech stacks » suggèrent que cela pourrait un jour être possible pour les entreprises productives.

[4] Il existe des modes intellectuelles dans tous les domaines, mais leur influence est variable. L’une des raisons pour lesquelles la politique, par exemple, a tendance à être ennuyeuse est qu’elle y est extrêmement soumise. Le niveau requis pour avoir un avis sur la politique est beaucoup plus bas que celui nécessaire pour émetttre des avis sur la théorie des ensembles. Ainsi, bien qu’il y ait certaines idées en politique, dans la pratique, elles ont tendance à être submergées par les vagues de la mode intellectuelle.

[5] Les personnes à l’esprit conventionnel sont souvent trompées par la force de leurs opinions et croient qu’elles sont indépendantes d’esprit. Mais de fortes convictions ne sont pas un signe d’indépendance d’esprit. Bien au contraire.

[6] Le souci de la vérité ne signifie pas qu’une personne indépendante ne sera pas malhonnête, mais qu’elle ne sera pas trompée. C’est un peu comme la définition d’un gentleman quelqu’un qui n’est jamais involontairement grossier.

[7] On voit cela surtout chez les extrémistes politiques. Ils se croient non-conformistes, mais en fait, ce sont des conformistes de niche. Leurs opinions peuvent être différentes de celles de la moyenne des gens, mais ils sont souvent plus influencés par les opinions de leurs pairs que la moyenne des gens.

[8] Si nous élargissons le concept de rigueur en matière de vérité de manière à exclure la flatterie, la fausseté et l’emphase ainsi que le mensonge au sens strict, notre modèle d’indépendance d’esprit peut s’étendre jusqu’aux arts.

[9]  Cette corrélation est cependant loin d’être parfaite. Gödel et Dirac ne semblent pas avoir été très forts en termes d’humour. Mais quelqu’un qui est à la fois « neurotypique » et sans humour est très susceptible d’avoir un esprit conventionnel.

[10] Une exception : les ragots. Presque tout le monde est curieux des ragots.

Merci à Trevor Blackwell, Paul Buchheit, Patrick Collison, Jessica Livingston, Robert Morris, Harj Taggar et Peter Thiel d’avoir lu les ébauches.