Philippe Le Roux, ancien cadre dirigeant de DEC, a créé il y a 25 ans Key People, un cabinet d’accompagnement à la transformation culturelle et humaine des dirigeants et de leur entreprise. Au cours de ces années, Key People a aidé des milliers de dirigeants à comprendre et agir dans le nouveau paradigme d’aujourd’hui.
Observateur acéré et éclairé des mutations du leadership, il a accepté de répondre aux questions de Umanz :
Umanz- Comment le leadership a-t-il évolué ces dernières années ?
Philippe Le Roux : Le leadership est devenu un sujet et ça ne l’était pas auparavant. C’est l’environnement extérieur qui a contraint les dirigeants à se poser des questions qu’ils ne se posaient pas.
En 20 ans, nous sommes passés d’une ère industrielle prédictible et rationnelle à un univers difficile à décrypter que l’on nomme parfois VUCA (Volatile-Incertain-Complexe-Ambigu).
La vitesse à laquelle a surgit ce nouveau monde n’a pas laissé le temps aux dirigeants d’entreprise de développer la perspicacité et les comportements requis. Il faut bien l’admettre, les générations aux commandes tentent toujours de faire face aux conditions de cette nouvelle ère avec la pensée et les habitudes de l’ère précédente. C’est inefficace et risqué, car le regard en arrière ne sera plus d’un grand secours.
Dans ce contexte, ils doivent se réinventer et faire appel à des compétences, des réflexes, des comportements nouveaux qui sortent de leur champ d’attribution traditionnel. Ce n’est pas facile car, pour la plupart, leur formation initiale, leurs repères conceptuels ou leurs pratiques opérationnelles ne les ont préparés à une telle transformation de posture managériale. Et donc de leadership.
Umanz : Quels ont été les conséquences de cette mutation du leadership ?
Philippe Le Roux : Hier, la lecture d’un monde prévisible était rassurante, car les modes de compréhension étaient linéaires et mécanistes. Or, dans la complexité grandissante d’aujourd’hui, le dirigeant doit s’approprier de nouvelles logiques, accepter de changer ses systèmes de représentation. Et susciter de nouvelles valeurs, au nom d’une éthique qui conditionne des modes de vie et des comportements différents.
En particulier dans le domaine de la confiance. Pour un dirigeant, il devient illusoire de tout voir, tout maîtriser. La confiance est donc devenue une valeur essentielle dans des organisations devenues poly-cellulaires et où la relation avec les parties prenantes est désormais de type omnicanale.
Autre conséquence, la forte demande de sens de la part des équipes, mais aussi des clients, qui a ouvert le champ de la raison d’être et de la mission d’entreprise.
Dans les nombreux séminaires que nous animons avec les codirs, le travail sur la vision partagée par le plus grand nombre est central et difficile. L’alignement de tous n’est pas chose aisée. Je me souviens d’une confidence de Xavier Fontanet, ancien PDG d’Essilor me relatant son obsession à s’assurer de la compréhension du projet d’entreprise par tous ses collaborateurs partout dans le monde. Homme de terrain chaleureux et sincèrement préoccupé par l’humain, il y consacrait une majorité de son temps en sillonnant la planète Essilor worldwilde, à raison de 300.000 Km par an.
Umanz- Quid de l’autorité dans ces mutations ?
Philippe Le Roux : Depuis 50 ans on observe une chute de l’autorité avec l’augmentation de l’éclatement dans les familles, l’enracinement de l’individualisme hérité des lumières, l’explosion urbaine, l’hyper-consommation des années Moulinex, l’émancipation des femmes et la quête de biens matériels.
Chacun s’est senti maître de son itinéraire, de son destin et c’est une logique qui a culminé jusqu’à récemment quand les gens se sont posés les questions de leur bien-être et de leur bonheur. Les premiers chocs sont arrivés il y a 20 ans quand les grandes entreprises ont vu des jeunes diplômés claquer la porte au bout d’un an. C’était le début du rejet des bullshit jobs mais aussi d’une forme d’autorité, ou plutôt d’autoritarisme, exercé par les managers, modèle taylorien « commande-contrôle », désormais remis en cause ouvertement. Chez Key People, dès l’an 2000, nous accueillons à ce sujet l’un des premiers experts à avoir identifié l’émergence de ce que l’on a appelé plus tard la génération « Y » : Patrick Lemattre, sociologue et professeur à HEC.
Umanz- Comment être un leader à l’ère du VUCA world ?
Il s’agit d’abord de prendre en compte les limites du modèle « commande-contrôle ».
Le travail collaboratif induit par la révolution numérique, les nécessités de développer un fort esprit entrepreneurial pour susciter la créativité et l’innovation « à tous les étages », mais aussi l’arrivée sur le marché du travail de la génération des millenials remettent en cause les techniques de management en vigueur jusqu’à présent. Le contexte d’autorité absolue d’antan s’estompe peu à peu vers un univers d’influence plus réparti et qui, par conséquent, devient plus flou aussi.
Ensuite, favoriser le développement des compétences collectives
Avec l’internationalisation et la montée de systèmes complexes, les dirigeants doivent réussir à faire travailler ENSEMBLE des acteurs aux métiers, domaines de compétences, expériences et profils distincts mais complémentaires, de plus en plus souvent issus de pays et de cultures différentes… Le tout dans des organisations mouvantes afin d’être plus agiles, plus innovantes, plus performantes.
Si, face à ces enjeux, un management collaboratif s’impose, il revient alors à promouvoir partout les compétences collectives et l’esprit d’équipe pour relever les défis.
Face à la complexité du monde, les nouveaux héros seront des agrégateurs.
Enfin, faire émerger de la confiance durable, pour ouvrir de nouveaux possibles.
Comme évoqué plus haut, la confiance a acquis un véritable statut dans l’analyse économique et politique des acteurs et de leur environnement, au point que la logique s’est inversée. Elle n’est plus seulement perçue comme un tiers facteur d’influence. Avec la complexité qui caractérise notre quotidien, où de multiples intervenants contribuent à la prise de décision, elle est devenue une notion centrale de l’économie d’aujourd’hui.
Mais pour inspirer confiance à l’ensemble de ses collaborateurs, le dirigeant doit d’abord avoir confiance en lui, faire émerger la confiance par lui et à travers ceux qu’il dirige. Sinon, sans explication, sans dialogue, sans confiance, chacun aura tendance à privilégier le court terme ou sa trajectoire personnelle.
Umanz : Comment les nouveaux leaders peuvent-ils passer du pouvoir à la puissance ?
Dans un contexte de changements permanents, les qualités habituellement demandées au dirigeant ne suffisent plus. Il ne lui est plus seulement possible d’être techniquement compétent, de connaître son métier : il lui faut aussi avoir une conscience élargie et une compréhension globale du monde.
Au-delà de ses connaissances académiques et de ses savoir-faire, ses qualités personnelles et humaines l’aident à réfléchir à sa façon de concevoir son environnement, son rôle de dirigeant, ses rapports avec ses collaborateurs, ses clients, ses actionnaires, la société civile…
Cela se traduit par la capacité à afficher plus d’attitude que d’aptitude, plus de convictions que de certitudes, plus de savoir-être que de technique.
Pour affirmer un tel leadership, le dirigeant doit montrer sa capacité à modifier sa propre vision du monde et adapter sa posture pour être plus en phase avec la réalité d’aujourd’hui.
Là se pose la question de la pédagogie de ce nouveau leadership ?
Pour notre part chez Key People, nous pensons que le leadership s’apprend tout au long de sa vie et non dans un séminaire de quelques jours.
C’est la raison pour laquelle nous proposons des ateliers réflexifs à des dirigeants sous forme d’itinéraires apprenants, cadencés mensuellement, pour des durées d’un an renouvelables.
Il s’agit d’apprentissages empiriques et expérimentaux à base de développement personnel et collectif.
Les participants s’instruisent de conférenciers exceptionnels et vivent des expériences d’ouverture à eux-mêmes et aux autres pour progresser dans leurs capacités d’action et d’influence.