La montée du soir  par Jerome K. Jerome - Umanz

La montée du soir  par Jerome K. Jerome

« Tout ça me fait penser à un mot de George Eliot sur la mélancolie : « La tristesse d’une soirée d’été. » Que ces mots sont merveilleux de vérité (comme tout ce qui est sorti de cette plume enchantée ). Qui n’a jamais ressenti l’enchanteresse tristesse de ces couchers de soleil sans fin ?

Le monde appartient alors à Mélancolie, jeune fille rêveuse au regard profond qui n’aime pas l’éclat du jour. Elle ne prend son vol que lorsque « La lumière poudroie et que le corbeau vole au rocher des sous-bois. Son palais est sis au crépuscule. C’est là, qu’elle nous donne rendez-vous.

C’est là sur son seuil ombreux, qu’elle nous prend la main et marche à nos côtés. Et si sa silhouette nous est cachée il nous semble bien entendre le bruissement de ses ailes.

Le soir, même dans la ville besogneuse, son esprit nous rejoint. On sent comme une présence sinistre dans les rues sans joie ; la rivière sombre se faufile comme un spectre sous des arches noires. On dirait quelle essaye d’enfouir quelque secret dans l’onde trouble.

Dans la campagne silencieuse, la tombée de la nuit noie arbres et haies. La chauve-souris effleure notre visage de son aile et le chant lugubre du râle de genêt se répand sur les landes.

La Malédiction s’insinue alors dans nos cœurs. Dans ces moments, nous avons l’impression de nous trouver près d’un invisible lit de mort et, dans le balancement des ormes, nous entendons les soupirs du jour mourant.

Il règne enfin une tristesse solennelle. Une grande paix nous entoure. Sous cette lumière, nos tracas quotidiens deviennent dérisoires, Insignifiants, le boire et le manger ! Las ! Même les baisers n’ont plus d’importance ! Nous ne pouvons plus exprimer nos pensées; nous les laissons nous envahir et, immobiles, nous nous sentons bien au-dessus de notre vie de tous les jours

Pendu à ces voiles noirs, le monde cesse d’être cette boutique sordide pour devenir un temple où l’homme se prosterne; et, parfois, dans l’obscurité, sa main tâtonnante vient effleurer celle de Dieu. »

Jerome K. Jerome (Pensées paresseuses d’un paresseux -1898)